Le général Cyrille Youchtchenko
Commandant la Légion étrangère
Il y a plus de deux mille ans, en Palestine, entouré de son Père et de sa mère, naissait au fond d’une étable un enfant qui n’avait pu trouver sa place dans l’auberge de Bethléem.
Petite famille d’abord, avec la naissance d’un enfant dans l’environnement intime du souffle rugueux d’un âne et d’un bœuf, elle a ensuite résonné à travers les événements et les siècles pour devenir l’une des plus grandes familles du monde, la famille des chrétiens. Qu’il soit d’une confession ou d’une autre, croyant ou non, chaque Français se reconnaît aujourd’hui dans cette fête, religieuse dans un premier temps, culturelle d’héritage judéo-chrétien ensuite, qui célèbre la famille. C’est en général le moment de se resserrer autour des nôtres, à la chaleur d’un foyer, et de prendre du temps, ensemble.
C’est ainsi que cette fête a trouvé un écho particulier à la Légion étrangère, où la notion de famille s’étend à celle de frères d’armes. En effet, pour les légionnaires, surtout les plus jeunes, la Légion devient leur famille de substitution. Et c’est cela qui justifie que les plus anciens, qui ont la chance d’avoir fondé une famille de chair passent Noël en entourant ceux qui nous ont rejoints et qui, sans cela, passeraient Noël seuls. Quel sens cela aurait-il de nous présenter comme une famille, d’évoquer la fraternité d’armes et la solidarité familiale dans le 2e article de notre code d’Honneur si nous n’étions pas capables de passer ce moment si important à leurs côtés ?
Après ses premières années sous les couleurs de la Légion, ce jeune légionnaire aura pu retrouver les siens, voire fonder sa propre famille. Pourtant, à son tour, à la veille de Noël, il se rapprochera et sera à l’écoute des plus jeunes de son unité. Dans cette logique de transmission perpétuelle et intergénérationnelle, il rendra aux plus jeunes ce que ses anciens lui auront légué : une solidarité sans faille.
C’est dans cet esprit qu’avec le temps, la période de Noël s’est structurée à la Légion étrangère. Noël, à l’instar de ce qui se pratiquait sur les champs de bataille, nous permet de faire une trêve. Cette “trêve de Noël”, le temps de quelques jours, donne un peu de souffle aux unités qui peuvent alors se rassembler autour de projets bien différents de ceux du reste de l’année : les challenges de sport, les bars, la crèche, la messe et la veillée de Noël.
Lors des challenges intercompagnies, les unités s’affrontent et chacun peut se révéler, mettre en avant ses talents physiques ou techniques, dans un esprit de cohésion, de dépassement de soi et de saine émulation. Les troisièmes mi-temps ou les soirées, renforcent la cohésion et l’esprit de corps dans les bars de Noël soigneusement aménagés à partir du club compagnie pour créer un espace propice à la camaraderie. C’est là que se créent les conditions de la proximité de Noël, lorsque les barrières hiérarchiques tombent pour laisser place à la confidence pudique que le jeune légionnaire pourra offrir à son chef.
Cette trêve permet aussi la conception et la réalisation des crèches, véritables chefs-d’œuvre éphémères où les talents insoupçonnés, l’imagination, la créativité et la sensibilité des âmes des légionnaires de toute ancienneté, cette âme naïve infantile pleine de la maturité de celui qui a déjà pas mal bourlingué, s’expriment en fabriquant, à partir de rien, de véritables reconstitutions historiques et culturelles, sous forme de maquettes, parfois animées et sonorisées, ou de tableaux vivants. Le point commun de ces crèches est le sacré, la fraternité d’armes, l’intime d’une histoire personnelle et la rédemption à travers la solidarité de sa section, de sa compagnie, de son régiment et de la Légion.
La messe de Noël, célébrée par les aumôniers des régiments et embellie par les chants de Noël traditionnels chantés à l’unisson, donne une occasion plus solennelle de se recentrer sur l’essentiel, de se recueillir et surtout de prendre le temps d’honorer le souvenir de nos Anciens et de nos camarades tombés au combat.
Enfin, la veillée de Noël, moment central de cette période particulière, permet pendant un temps, aux plus jeunes de s’exprimer, guidés par les plus anciens, pour caricaturer respectueusement le plus souvent, parfois avec une juste insolence, mais sans débordement et en toute bienveillance, les traits particuliers, voire les manies, de leurs cadres. C’est autorisé ; c’est Noël !
Ainsi, chaque année, cet esprit est retrouvé par toutes les formations de la Légion étrangère, où qu’elles se trouvent, avec plus ou moins d’ampleur selon la situation opérationnelle du moment. C’est également ce même esprit qui habitera le cœur de chaque légionnaire ou ancien, isolé ou entouré de ses camarades, tout au long de sa vie.
Sans transition, le lendemain, les activités opérationnelles reprendront et les unités seront à nouveau tournées vers les objectifs opérationnels. En effet, la séquence de Noël n’est pas décorrélée de la raison d’être de la Légion étrangère : elle est même une condition de l’efficacité opérationnelle puisqu’elle vient renforcer ses quatre piliers fondamentaux : le caractère sacré de la mission, la rigueur dans l’exécution, la solidarité et le culte du souvenir.
Prenons donc le temps de cette trêve de Noël pour être plus efficace demain.
Joyeux Noël à toute la grande famille Légion en métropole, sur l’île de Beauté, Outre-mer, en opération extérieure ou intérieure et sous tous les cieux où se trouve un képi blanc quelle que soit son ancienneté !
Le général commandant
la Légion étrangère
| Ref : 807 | Date : 15-12-2023 | 5670