Début mai 1994, deux jeunes candidats se présentent à la porte du fort de Nogent. Ils ne se connaissent pas, ils ne se parlent d’ailleurs pas devant la porte en bois du fort, célèbre et majestueuse. Ils ont le même âge, 25 ans. Les deux ont grandi de l’autre côté du rideau de fer, l’un en Pologne, l’autre en Ukraine. À vingt ans, profitant de l’effondrement du mur, ils ont migré plus à l’Ouest, afin d’étancher leur soif de liberté. Par des chemins détournés, comme souvent, l’idée de la Légion étrangère mûrit cinq années puis les fit converger vers Fontenay-sous-Bois, point zéro pour beaucoup, de l’aventure Légion.
Deux “volontaires involontaires” (1) se demandent, ce matin de mai 94, quel sera cet autre monde, derrière la porte. La porte s’ouvre. Legio Patria Nostra se dévoile derrière, comme sur un poste-frontière. Le grand candidat en taille et le petit candidat débutent le processus de sélection. Contrairement au souvenir précis de leurs présentations simultanées, la mémoire leur fait défaut quant à savoir s’ils se tenaient l’un derrière l’autre lors des étapes de sélection. L’administration Légion atteste en revanche, la même date du 16 mai 1994 pour la signature de leurs premiers contrats d’engagement : matricule 185270 pour le petit et 185271 pour le grand. Ces deux jeunes engagés volontaires de la Légion étrangère (EVLE) partiront ensuite pour l’instruction.
Affectés à la 3e section de la 2e compagnie du 4e Régiment étranger, ils s’instruisirent “à la dure”, tenant bon lors des longues semaines de transformation dans le creuset de la Légion étrangère. Leurs souvenirs de cette période sont intacts et fondateurs mais parfois décoiffants pour un COMLE de 2023. De fait, ils coiffèrent ensemble, pour la première fois le képi blanc. À la fin de l’instruction, l’un rejoignit le 2e REI et l’autre le 2e REP, pour une carrière à venir d’un mimétisme troublant.
Presque 30 ans plus tard, deux adjudants-chefs sont côte à côte pour accueillir le CEMAT, venu à Aubagne présider le conseil de la Légion étrangère (CLE). L’un est petit, l’autre est grand, les deux portent le képi noir et le galon à liseré de président des sous-officiers (PSO). L’un est le PSO du 2e REP, l’autre est celui du 2e REI, les deux sont mariés et ont deux enfants. Les deux ont des états de service couvrant toutes les opérations de l’armée française des trois dernières décennies, d’Afrique aux Balkans et l’Afghanistan. Les deux, en devenant Français, ont accolé à la devise Legio Patria Nostra, celle de Liberté Égalité Fraternité.
Je vous proposais dans mon dernier éditorial de passer l’année 2023 avec Monsieur Légionnaire. J’ai passé plusieurs années avec ces deux grands messieurs. Grâce à eux en particulier, par leur histoire, leur engagement, leur sens du service, j’ai moi aussi d’une certaine manière poussé la porte en bois du fort de Nogent pour rejoindre cet autre monde, le monde de la Légion. La littérature a magnifié ces légionnaires qui, gravissant patiemment les échelons de commandement, quittant le képi blanc pour le képi noir, sont devenus des sous-officiers supérieurs. Elle les a nommés “les maréchaux de la Légion”(2). Cette expression rend hommage à ces adjudants ou adjudants-chefs, piliers de l’Institution, héros des conflits post Seconde Guerre mondiale. Comment ne pas citer, en illustration, les trois sous-officiers d’origine hongroise, entrés au Panthéon de la Légion étrangère : l’adjudant Laszlo Tasnady, l’adjudant Istvan Szuts et l’adjudant-chef Janos Valko. Ils se sont engagés tous les trois en septembre 46 et ont été tués en opération dans l’Ouarsenis en mai 59 à quelques jours d’intervalle. À eux trois, ils totalisent 34 citations et huit blessures au combat. La salle d’honneur du musée d’Aubagne garde leur souvenir. À eux trois, ils symbolisent ce levain qui lève sans cesse de nouvelles générations de képis noirs, et de nouveaux maréchaux.
À leur tour, de jeunes candidats se présentent et frappent à la porte de la Légion en ce début d’année 2023. Ils sont parfois inquiets, désemparés ou se croyant finis, mais ils espèrent tant du monde à venir. “Je n’ai plus rien à apporter et je suis fini, la Légion me prendra-t-elle ?”
Si vous avez cette envie pure et sincère de nous rejoindre, de franchir la porte, vous trouverez de l’autre côté un képi noir pour vous habiller d’or. “À ces gens qui n’avaient plus rien et souvent se croyaient finis, elle (la Légion) offre un héritage de gloire fabuleux”, Jean des Vallières.
Il y a surement en ce moment, devant la porte du fort de Nogent, un petit et un grand candidat ! More Majorum.
Général Alain Lardet
Commandant la Légion étrangère
Editorial Képi Blanc – Février 2023
(1) Selon la magnifique expression de Giuseppe Bottaï dans son livre Mon nom est Légion.
(2) Les maréchaux de la Légion, de Pierre Sergent.