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La poésie légionnaire

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| 20 Janvier 2021 | 13458 vues

Légionnaire et poète à la fois, l’affirmation peut surprendre. Pourtant, à bien y regarder, « le métier d’homme de guerre est une chose abominable et pleine de cicatrices, comme la poésie ». Blaise Cendrars* a bien résumé ce que soldat et poète ont en commun. Car nombreux sont les écrivains légionnaires qui publient de la poésie, dans le magazine Képi Blanc, dans des ouvrages édités ou sur les réseaux sociaux. Cet aperçu nous propose un bref coup d'oeil à la poésie légionnaire.

Publié le 20/01/2021 à 16:32 | DRP

L’aventure et la poésie sont de bonnes amies, deux complices. Elles se disent tout, partagent tout, même les hommes qu’elle conquiert. Villon, Rostand ou Rimbaud ont trouvé de nombreuses passerelles pour aller de l’une à l’autre, du Cyrano attachant au dormeur du val. Dès lors, faut-il s’étonner de voir la poésie recruter dans les rangs de la Légion étrangère pour s’y nourrir de gloire, d’exploits, guérir les blessures, chanter l’amour et les amours, endormir le « cafard », accompagner le veilleur, écouter avec lui le silence et se souvenir de ceux qui l’attendent : une femme, un enfant, une mère, ou des camarades tombés sous le feu ?

 

De grands noms légionnaires se sont enrôlés sous la bannière de la poésie :

- Blaise Cendrars, déjà cité, qui écrivait encore : « Être. Être un homme. / Et découvrir la solitude. / Voilà ce que je dois à la Légion et aux vieux lascars d’Afrique ».

- Alan Seeger qui signa en 1915 un terrible poème prémonitoire : « J’ai rendez-vous avec la mort / À quelque barricade disputée, / Sur le versant de quelque colline délabrée, / À minuit, / Dans quelque ville en flammes / Quand le printemps repartira ».

Le texte de la voix off de cette vidéo est extrait du poème A Frtiz M., légionnaire, par Guy des Georges (KB 1953) 

- Le capitaine de Borelli est l’auteur de ce magnifique quatrain de 1885. Se recueillant sur le souvenir de ses hommes tombés au combat, il écrivait :

« Jamais Garde de Roi, d’Empereur, d’Autocrate,

« De Pape ou de Sultan : jamais nul Régiment

« Chamarré d’or, drapé d’azur ou d’écarlate,

« N’alla d’un air plus mâle et plus superbement ».

 

- Il y en a d’autres : Arthur Nicollet, qui aimait signer ses vers par : « Le légionnaire sempiternel », Mac Orlan, dont les noms remplissent les dictionnaires.

Deux ouvrages essentiels pour aller plus loin :

Les plus beaux actes de la poésie légionnaire ont été réunis dans un ouvrage intitulé « Légion, notre mère » (éditions Italiques - Isbn 2-910536-12-2).

La liste quasi exhaustive des ouvrages légionnaires a été recensée dans un ouvrage dirigé par Paul-André Comor intitulé « La Légion étrangère, histoire et dictionnaire » (Robert Laffont – Isbn 9-782221114-96-4).


Des poètes moins connus, dont le style et le ton dévoilent le cœur de la poésie légionnaire, ont eux aussi rejoint les rangs de la poésie légionnaire.

Pour le plaisir, j’en citerai au moins deux :

-Madrigal farfelu, adorable  poème du légionnaire Gissey, paru en 1953 dans le magazine Képi Blanc :

« La sardine est à l’huile

« Les bouchées sont à la reine

« Le bœuf est à la mode

« Le riz à l’espagnole

« La salade à la russe

« Les fraises sont à la crème

« Et mon cœur est à toi ».

 

-Et puis Petit fleur blanc… Ce poème est l’œuvre d’un légionnaire d’origine nordique. Le français n’est pas sa langue maternelle comme on le comprend aisément en le lisant. Mais une chose est sûre, ce qu’il écrit est de la poésie, la vraie, qui émeut et se distingue par sa forme. Car ce légionnaire se paye le luxe d’écrire un sonnet dans les règles de la prosodie, et d’effacer la forme au profit du fond :

« Petit fleur qui fait blanc sur la bord du chemin, / Petit fleur qui t’en fout que partout c’est la guerre. / Petit fleur blanc, ton maman, c’est Madame la Terre. / Ton maman, petit fleur, il le tient par la main.

« Mon maman il est loin… aujourd’hui et demain / Je marchais en avant, car moi c’est militaire. / Mon papa, il est mort… et moi seul, légionnaire, / Képi blanc, godillot, fusil et quart de vin.

« Petit fleur, tu parler pour toi maman la Terre / Tu parles que moi, Kurt, toujours c’est fait la guerre, / Que peut-être bientôt, c’est fini mon saison.

« Petit fleur, moi soldat, même chose ton frère. / Moi aussi, c’est fait blanc… képi blanc légionnaire,  Et bientôt habiter chez toi dans ton maison ».

 

Le saviez-vous ? Un madrigal (des madrigaux) est une petite pièce en vers exprimant une pensée fine, tendre et galante. C’est aussi une composition musicale polyphonique a capella qui cherche à traduire des inflexions poétiques.

 

Qu’est-ce qui caractérise encore la poésie légionnaire ?

Son engagement.

La poésie légionnaire est d’abord et avant tout une poésie franche, honnête et sincère. Certains poèmes sont d’une étonnante facture, aussi bien soignés qu’une tenue de parade. Pour autant le légionnaire-poète n’est pas un homme rigide. Il sait s’affranchir des règles strictes de la prosodie, voire carrément les ignorer. En fait, le légionnaire écrit parfois comme il marche, avec la gravité qui donne aux défilés leur majesté et leur puissance. Surtout quand il s’agit des valeurs qui semblent d’un autre âge : la bravoure, le sacrifice, l’honneur dans l’épreuve, la fidélité à la parole donnée, la fraternité d’armes et le respect des anciens.

Sa franchise

Quand « on s’enorgueillit / De ne pas avoir cédé, de ne pas avoir failli » mais que « l’ordre est venu de partir », alors, l’honneur et la fidélité appellent la colère. L’honneur parce qu’on estime n’avoir en combattant « que le droit de vaincre ou de verser son sang », et la fidélité parce que « les tertres et les croix jalonnent le chemin » et qu’il faut « pour nos frères entrés dans l’éternel silence, / Etablir un bilan et faire la balance ».

La piété.

Je veux citer une autre qualité, et non la moindre, des poètes légionnaires : c’est cette piété envers la Légion. On vient y chercher, comme l’a écrit le général Hallo, un autre écrivain de Légion, « l’oubli dans l’aventure, le rachat dans le sacrifice, la dignité dans l’honneur » .

Un autre légionnaire a bien traduit cette dévotion pour la Légion :

« La superbe leçon que nous conte l’Histoire / Nous montre le devoir et son rude chemin / Celui que nous ferions, s’il le fallait demain, / Pour notre Légion et sa plus grande gloire » .

Mais, qu’on ne s’y trompe pas. La piété envers la Légion sous-tend une autre dévotion envers le pays dont, après tout, la Légion est aussi la fille, et qui fait « retomber un pli de son drapeau derrière ces hommes traînant leur passé lourd comme on traîne un chaînon ». C’est quand même une sacrée marque de confiance que de confier, à une langue qu’on ne maîtrise pas, le soin de dire son âme et parfois ses derniers mots.

« Il a regardé les cailloux / Avec de grands yeux sans larme / Puis repoussant son arme / Il a dit : Moi, je m’en fous ».

 

Lieutenant-colonel (R) Bruno Carpentier

COMLE / DRP / Multimédia

 

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  • Blaise CENDRARS : “La main coupée” (1915). Récit autobiographique de la campagne de 14-15 du célèbre écrivain suisse engagé dans les rangs du RMLE de 14. L’écrivain, grièvement blessé, perdra un bras dans la bataille.