Des “hommes sans nom” mais pas sans toit

"Depuis Rollet, de nombreux officiers ont poursuivi la noble tâche, d’adapter notre dispositif de solidarité, dont le foyer d’entraide est le moteur, afin de s’assurer qu’un légionnaire, dès lors qu’il a effectué ses premiers pas dans notre collectivité, ne sera jamais abandonné." Général Alain Lardet

Un toit aux pans vert et rouge couvre un képi blanc ; vous reconnaitrez le logo de la Maison du Légionnaire située au domaine de Vède à Auriol. Il dit tout de l’action sociale de la Légion étrangère : la solidarité coiffe et protège le service avec Honneur et Fidélité.

Cette Maison du Légionnaire, fondée en 1933, est la première réalisation tangible de l’action sociale au profit des militaires à titre étranger. Assurer un toit, sans péremption, à cet étranger venu rejoindre la Légion est un symbole de la reconnaissance que porte la Nation française à ses hommes sans nom.(1)

Parce que justement ils sont sans nom, ils ne doivent plus jamais être sans toit.

Bien sûr nos légionnaires ont tous un nom, ils en ont deux même : celui de naissance et celui de la renaissance. Le temps qu’il faudra, le jeune légionnaire aura un nom de légionnaire, le rendant ainsi sans passé puisque sans patronyme le reliant à son histoire. Cette spécificité, la seule au demeurant, est exorbitante et lourde de conséquences. Elle rebâtit l’homme mais déconstruit le statut social originel. En privant le légionnaire de sa maison refuge d’origine, elle fragilise l’individu, autant qu’elle le relance dans une nouvelle vie et une nouvelle maison. La Légion étrangère française détient ainsi la baguette magique d’un nouveau départ qui plus est en évaporant le premier. Je crois avoir eu l’occasion de l’écrire dans cette lettre de famille, l’immense majorité des partants à la retraite que je reçois, c’est-à-dire totalisant plus de 25 ans de service, témoignent de leur reconnaissance débordante pour notre Institution qui leur a tout redonné : “la Légion m’a donné l’honneur, je lui donne fidélité”.(2)

Gare cependant aux douze coups de minuit, sonnant le retour à la vie civile ! Notre père Légion, le général Rollet, fit dans les années 30 le constat désolant de la transformation du carrosse Légion en un pont de Marseille. Combien de légionnaires libérés furent réduits à mendier, il est vrai, victimes d’une crise économique terrible ? Trop, et cela lui fut insupportable. Il est alors le premier à porter une attention soutenue à l’action sociale au profit des fins de contrats. Ayant compris que les besoins du légionnaire sont particuliers et qu’ils nécessitent, pour être correctement satisfaits, des solutions elles aussi particulières, il bâtit une politique sociale et de solidarité dont l’esprit ou même certaines réalisations persistent aujourd’hui : logement, foyers, primes, reconversion, amicales, maison d’Auriol… jusqu’à la mise en chantier d’une “œuvre d’entraide” dont notre FELE(3) est l’héritier direct.

Il est utile de se replonger dans les principes fondateurs de cette politique naissante de solidarité. Le général Rollet aimait à préciser que la première des solidarités est la connaissance du légionnaire et de sa psychologie. Il souhaitait ensuite s’intéresser, tout particulièrement, au sort de ces libérés, pour des considérations humanitaires évidentes, pour des raisons de fidélisation, en enlevant aux actifs le souci de la retraite et enfin pour couper court à la critique du traitement d’un mercenaire qui n’appartient à personne à la fin de son service. À cette époque, le légionnaire fin de contrat ne disposait que du costume Clemenceau(4) comme aide au départ. La tâche était donc immense et Paul-Frédéric Rollet fixa les axes de travail : faciliter les modalités internes de libération ; donner les moyens de se créer une nouvelle existence et de mettre à l’abri de la misère ; résoudre les problèmes liés à l’obtention de la carte de séjour ; maintenir “l’esprit Légion” entre les anciens, en créant des liens qui les rattachent à la famille légionnaire ; mettre à jour les livrets individuels pour l’établissement des pensions. Déjà avec l’appui du Sénat, le général Rollet obtient en 1935 la délivrance d’un récépissé autorisant les légionnaires étrangers à rechercher du travail, ce qu’alors la loi française ne permettait pas.

En revisitant ces lignes, le chemin parcouru par la solidarité Légion est impressionnant. Le colonel Gaultier en 1950 fut le second animateur de ce chantier avec la création du SMOLE, service du moral et des œuvres de la Légion étrangère. L’Institution des invalides de la Légion étrangère vit le jour en 1954. Le FELE prit sa forme définitive en 2015. Le GADIPLE, organisme visant à sécuriser les droits individuels des légionnaires est né en 2020.

Depuis Rollet, de nombreux officiers ont poursuivi la noble tâche, d’adapter notre dispositif de solidarité, dont le foyer d’entraide est le moteur, afin de s’assurer qu’un légionnaire, dès lors qu’il a effectué ses premiers pas dans notre collectivité, ne sera jamais abandonné. Je rends ici hommage à leur dévouement à la mesure de leur attachement aux légionnaires. Je pense en particulier, pour n’en citer qu’un, au regretté lieutenant-colonel Xavier Lantaires. Je remercie enfin le lieutenant-colonel Geoffroi Legat pour son action à la tête du FELE qu’il quitte cet été.

Ce numéro de Képi Blanc vous présente donc l’histoire en marche de notre solidarité. L’adaptation de la gouvernance, l’élargissement de l’offre de solidarité et la consolidation des ressources sont les trois axes d’effort qui nous amèneront en 2030 aux cent ans de notre action sociale.

À l’heure où j’écris ces lignes, un pensionnaire de l’IILE vient de décéder. Il avait 47 ans et ne sortait plus de sa chambre. En grande détresse psychologique, très malade, il a bénéficié chaque jour de la présence bienveillante de ses frères d’armes légionnaires. Il avait un toit.

Au fond, la devise de l’action sociale de la Légion étrangère pourrait être : “pas sans toi!”

Art II : “… Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d’une même famille.”

 

(1) Désigne le légionnaire. Nommé ainsi par Jean des Vallières dans son roman éponyme, paru en 1933. Cette appellation a depuis été régulièrement reprise. Elle constitue le chapitre 2 du livre Monsieur Légionnaire du Général Jean Hallo, Édition Lavauzelle, et a récemment été revisitée dans un film documentaire “Voyage chez les hommes sans nom”, carnet de route de Sylvain Tesson au cœur de la Guyane française ; France 2, Infrarouge 2021.

(2) Témoignage dans le livre d’or des sous-officiers.

(3) Foyer d’Entraide de la Légion étrangère

 

 

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Juin

 

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| Ref : 772 | Date : 06-06-2022 | 5387