Deux capitaines du devoir

Ils seront à l’honneur le 30 avril prochain, lors de la commémoration du combat de Camerone.

Un siècle sépare ces deux officiers de Légion. De la naissance, 1828 pour l’un, 1929 pour l’autre, de leur entrée à Saint-Cyr, 1847 et 1949, de leur début en régiment, de leur élévation comme chevalier de la Légion d’honneur à moins de trente ans, le mimétisme du parcours de ces deux saint-cyriens, à cent ans d’intervalle, est troublant. Les deux prendront même le commandement d’une troisième compagnie, respectivement en 1863 et en 1961, pour l’ultime acte de leur vie militaire. L’un mourra héroïquement sur un champ de braises, l’autre verra sa vie militaire s’achever dans l’honneur sur un lit de cendres1. Les deux ne répondront qu’à une seule injonction : “faire tout son devoir”.

Comme un symbole de l’éternité de la Légion, comme un pont séculaire, le capitaine Joseph Estoup portera la main du capitaine Danjou, le 30 avril prochain, réunissant ainsi les destins de deux capitaines du devoir.

Le 29 avril 1863, le Régiment étranger est à peine installé dans ses bivouacs de Chiquihuite qu’il se prépare déjà à la difficile mission d’escorte des convois dans les terres chaudes du Mexique entre Palo Verde et Cordoba. Une “besogne d’arrière, ces escortes !”, devaient se dire les officiers subalternes du Régiment étranger, ceux-là mêmes qui avaient écrit à l’Empereur pour réclamer leur départ pour le Mexique. À la Légion, on ne choisit pas ses missions, on les remplit. Alors qu’un convoi descendant de Puebla s’annonce, l’expérimenté adjudant major du 1er Bataillon, le capitaine Danjou, vétéran de Crimée et de Magenta, exprime son inquiétude pour la sécurité d’un autre convoi, montant celui-là. Le colonel Jeanningros approuve l’envoi d’une compagnie au-devant de ce très important convoi logistique. C’est le tour de la 3e compagnie qui n’a pas d’officier sur les rangs. Danjou en prend le commandement. C’est un officier plein d’avenir et très respecté. Dans sa dernière lettre à son frère, avant de débarquer à Vera Cruz, il écrivit : “adieu, je te quitte, résolu à faire mon devoir et plus que mon devoir…” La suite sera proclamée les 30 avril prochain dans tous les stationnements de la Légion étrangère : dix heures de combat acharné, jusqu’au dernier dans un champ de braise pour permettre en définitive au convoi de passer.  Le caporal Berg, un des rares survivants dira au colonel Jeanningros : “la 3e du 1er est morte, mon colonel, mais elle en a fait assez pour que, en parlant d’elle, on puisse dire : elle n’avait que de bons soldats.”

Le 28 avril 1961, le 1er Régiment étranger de parachutistes quitte son camp “lieutenant-colonel Jeanpierre” à Zéralda pour rejoindre le terrain d’aviation de Thiersville. Il ne s’agit pas d’une mission d’escorte puisqu’ils sont escortés par des automitrailleuses. Le combat du jour sera sans munitions, mais fatal également. Le capitaine Estoup mène ses légionnaires de la 3e compagnie vers leur dernière sortie, vers un lit de cendres. Il est seul, la compagnie n’a alors plus d’officier. Ce capitaine est expérimenté et respecté, vétéran d’Indochine et acteur de l’entière épopée de 1er REP de sa création en 1955. Depuis son entrée dans la carrière des armes, le devoir a conduit cet officier, dans les circonstances les plus éprouvantes. Ce fut le renoncement par devoir, d’une affectation dans un bataillon parachutiste vietnamien en lieu et place du 8 GCCP, puis le renoncement du saut sur Diên Biên Phu reporté puis annulé, puis la mission douloureuse et culpabilisante de récupération des prisonniers rendus par le Viet minh, puis l’évacuation des Vietnamiens du Tonkin, puis le “fiasco de Suez”, puis les batailles d’Alger, Guelma, les victoires militaires effacées. Ce fut enfin l’obéissance à une mission particulière qui entraînait le 21 avril, le non-respect des lois. Ce 28 avril donc, “chaque commandant de compagnie organisa, dans la forme qu’il voulut, sa séparation d’avec ce qui était jusqu’alors , toute sa raison de vivre”2. On ne choisit pas ses missions à la Légion, cette dernière constituera la mort militaire de ce brillant Capitaine. Depuis 1961, le capitaine (er) Estoup se tenait au jugement de “sa dernière défaite” comme il l’a écrit. Malgré les lois d’amnistie, il a toujours refusé de reporter sa Légion d’honneur et ses six citations.

Le 29 avril prochain, il sera élevé commandeur de la Légion d’honneur. Le 30 avril, il remontera la voie sacrée, avec ses décorations, accompagné d’une garde de légionnaires, uniquement composée de bons soldats : l’adjudant-chef (er) Heinrich Hartkopf, l’adjudant-chef Saïd Ighir, le sergent (er) Lucien Veres et le brigadier-chef Magomed Moussaiev.

Pourquoi ce revirement, 61 ans après ? Le COMLE le lui a demandé or le capitaine Estoup a été et demeure un capitaine du devoir. Au fond, malgré ses défaites comme il le dit souvent, il sait que comme ses anciens de Camerone, il a toujours choisi l’honneur. Par un signe du destin, la troisième mort du 1er REP sera promulguée un 30 avril, comme un appel à unir deux capitaines.

Ils seront à l’honneur le 30 avril prochain.

 

[1] “les cendres sont ce qui reste des braises mortes. Les champs de braises (allusion au livre d’Hélie de Saint-Marc) laissent des lits de cendres” préambule de Joseph Estoup dans son livre Lits de cendres, Yvelinedition, 2018.

[2] Lits de cendres, p 213

 

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Avril

| Ref : 766 | Date : 01-04-2022 | 10475