La possibilité pour la Légion étrangère de recruter des candidats sous identité déclarée est une disposition atypique aux fondements très anciens.
A l’origine, cette mesure visait à permettre l’engagement d’urgence, en cas de conflit, de personnels étrangers qui n’étaient pas tenus de justifier de leur état-civil. Elle a permis de recruter les volontaires étrangers des deux grandes guerres qui sont venus verser leur sang pour défendre la France.
Mais cette disposition a trouvé au fil du temps une autre raison d’être : elle est devenue, dans l’esprit de nombreux candidats à l’engagement, l’opportunité pour un nouveau départ, à la reconquête de l’estime de soi, à la recherche du respect mutuel, en quelque sorte un “outil de la seconde chance“. Elle offre à de jeunes hommes marqués par les difficultés, les échecs, ou tout simplement en rupture avec la société ou leur famille, la possibilité de changer le cours de leur vie, d’en écrire eux-mêmes le nouveau scénario, en repartant sur des bases entièrement nouvelles. C’est pourquoi elle s’applique dès le temps de paix.
Elle permet à la Légion de dire deux choses très simples à chaque candidat à l’engagement :
- “je te propose de t’engager sous un autre nom, de rompre avec ton passé et, pendant une période dont tu choisiras la durée, de bénéficier de la protection offerte par cette nouvelle identité ; ainsi je t’aiderai à mener à bien ta démarche de rupture et de reconstruction” ;
- “je t’engage tout de suite, sans attendre de vérifier ton identité véritable, sans te demander de revenir dans deux ou trois mois avec des pièces d’état civil officielles ; je t’offre donc de saisir ta chance immédiatement”.
Cette singularité n’est pas un passe-droit : elle a été consacrée par la loi. Elle émane directement du statut général des militaires et elle est précisée par le décret relatif aux militaires servant à titre étranger.
Le placement sous identité déclarée est donc une mesure exorbitante du droit commun, mais parfaitement reconnue et encadrée par les textes. Il n’accorde aucune exonération de responsabilité pénale pour les actes commis sous identité déclarée. Il n’a pas non plus pour but de soustraire à la justice des hommes aux actes répréhensibles ; c’est pourquoi il a bien sûr vocation à être temporaire ; il ne “protège” les hommes qui servent sous ce statut que contre les actes passés, déclarés au commandement lors de l’engagement, et considérés par lui comme “acceptables”, ce qui exclut sans aucune ambiguïté, les crimes et les délits les plus graves. La procédure dite de “régularisation de situation militaire”, opérant une fusion de l’identité déclarée au sein de l’identité réelle, est l’instrument qui permet de retrouver la véritable identité.
La mise sous identité déclarée est donc, très simplement, une mesure provisoire qui offre aux légionnaires une période de répit : ce répit est destiné à leur donner le temps de retrouver l’équilibre qui leur permettra, à terme, d’être de nouveau capables de faire face à leur passé et de rendre des comptes si nécessaire.
Le terme “anonymat” a parfois été utilisé pour caractériser cet état. Non seulement il ne figure pas dans les textes officiels, mais il recouvre une réalité très différente, laissant en particulier supposer une position sans existence légale, ce qui n’est pas le cas.
Cette disposition est parfaitement adaptée au profil tout à fait particulier, caractéristique des personnels servant à titre étranger. Hommes sans nom, au passé parfois douloureux, au parcours personnel tourmenté, ils rejoignent nos rangs sans arrière-pensées, avec la ferme intention d’y rebâtir leur avenir sur de nouvelles bases. Leur fidélité, leur dévouement, leur engagement et leur disponibilité sont à l’image de cette volonté radicale de rupture et de don exclusif à leur famille d’accueil. En revanche, ils conservent aussi dans certains cas une fragilité et une instabilité qu’expliquent les méandres de la voie qu’ils ont suivie jusqu’alors.
L’identité déclarée est donc à la source d’un exceptionnel dispositif d’intégration et de reclassement qui, sans être une finalité en soi, permet chaque année à plus d’un millier d’hommes, parfois en situation d’exclusion, de trouver à la Légion des raisons de croire à nouveau à leurs chances et de reprendre en main leur destinée. Elle est en cela une mesure apparemment anachronique, mais qui a conservé tout son sens et toute sa modernité en 2010, à l’heure de la mondialisation.
Editorial du COM.LE du Képi blanc N° 718 - 1ère partie
| Ref : 58 | Date : 03-02-2010 | 108484