Par Tatiana Koutarenkova | 30 mars 2017 | Russia beyond the headlines
Futur légionnaire français et ami de Charles de Gaulle, Zinovi Sverdlov est né en 1884 dans la famille d’un artisan juif à Nijni Novgorod (Volga). Originaire de la même ville, le grand écrivain Maxime Gorki (de son vrai nom Alexeï Pechkov), connaissait la famille Sverdlov et aimait tout particulièrement Zinovi, avide de savoir et prêt à toutes les aventures.
Le jeune homme entre rapidement dans l’entourage de l’écrivain, où il fait connaissance avec nombre d’intellectuels protestataires et s’intéresse aux idées révolutionnaires qui lui valent même des problèmes avec la police. Mais, selon les dires, lorsque Zinovi se convertit à la religion orthodoxe, sa famille juive le renie. Il devient ensuite le fils adoptif de Gorki qui lui donne son nom de famille.
Zinovi a un grand talent artistique, une belle voix et l’oreille absolue, au point qu’il veut entrer à la Philharmonie impériale. Mais les circonstances en décident autrement : à vingt ans, il quitte la Russie à la recherche d’aventures et d’un emploi intéressant. En outre, il souhaite échapper à l’œil un peu trop vigilant de la police.
Canada, États-Unis, Nouvelle-Zélande… Zinovi Pechkov travaille à l’étranger comme chargeur dans une briqueterie et comme ouvrier dans une ferme à fourrure et une imprimerie. Il se lance dans le commerce, mais fait rapidement faillite. Il trouve ensuite un emploi dans une maison d’édition russe aux États-Unis. Puis le destin le conduit en France, où il apprend la nouvelle du début de la Première Guerre mondiale.
À la différence de ses connaissances révolutionnaires en Russie, il ne souhaite pas la défaite de la monarchie tsariste et de ses alliés. Sans hésiter un instant, Zinovi se porte volontaire. Les étrangers ne pouvant pas servir dans l’armée française, le fils adoptif de Maxime Gorki se retrouve dans la Légion étrangère.
En 1915, il est grièvement blessé au bras lors d’une attaque aux environs d’Arras. Les infirmiers le considèrent comme condamné et veulent le laisser sur le champ de bataille. Mais l’évacuation du blessé est ordonnée par… le lieutenant Charles de Gaulle. Zinovi se retrouve à l’Hôpital américain de Paris.
Les médecins se voient obligés de l’amputer du bras, mais Zinovi fait preuve d’un grand courage et apprend à se servir d’un seul bras. La même année, sur ordre du maréchal Joseph Joffre, le légionnaire russe est récompensé de la Croix de Guerre à l’Hôtel des invalides. Quelques temps après, il deviendra l’ami de son sauveur, Charles de Gaulle, avec qui il traversera plus tard une deuxième guerre.
Dès leur adolescence, Zinovi et son frère Iakov sont passionnés par les idées révolutionnaires. Mais ils prennent des chemins radicalement différents et chacun se retrouve de son côté de la barricade, considérant l’autre comme un ennemi idéologique. Zinovi n’accepte pas la révolution d’Octobre avec ses violences et son aspiration à confisquer pour tout redistribuer.
« C’est plutôt le romantisme de la révolution, propre à la jeunesse de cette époque. Ce n’est pas par hasard qu’après 1917 Zinovi n’est plus jamais revenu en Russie, bien que l’occasion se soit présentée. Pechkoff a depuis longtemps d’autres valeurs et idéaux. Dans la guerre civile, il se retrouve du côté des Blancs », affirme l’écrivain et journaliste Armen Gasparian, membre du Conseil central de la Société russe d’histoire militaire, auteur de nombreux livres sur l’histoire militaire.
Son frère Iakov est l’initiateur de la Terreur rouge et de la répression contre les cosaques. Il tient également un rôle dans l’exécution de la famille du tsar. Il renie son frère Zinovi, le qualifiant « d’agent de la Triple Entente ». Au début de l’année 1919, Zinovi envoie un télégramme à son frère : « Iachka (diminutif de Iakov), quand nous nous emparerons de Moscou, nous pendrons en premier Lénine, puis se sera ton tour, pour ce que vous avez fait de la Russie ! ».
Toutefois, « Iachka » ne tiendra pas longtemps : la même année il est victime de la pandémie de grippe espagnole. Mais ce n’est qu’une version officielle : on sait combien Lénine n’appréciait pas ses concurrents…
La perspicacité et l’astuce, une capacité à établir avec facilité les contacts nécessaires, des propos convaincants et éclatants, le talent à gagner ses interlocuteurs à sa cause : tous ces dons « trouvent preneur » en France. C’est ainsi que Zinovi Pechkoff entame une carrière diplomatique. Une carrière impétueuse : il est rapidement dépêché dans différents pays avec des missions très sérieuses, voire secrètes.
Durant la guerre civile en Russie, Zinovi fait partie de la mission diplomatique française. Il aide énergiquement les affamés en envoyant des chargements depuis Le Havre et Marseille, et en évacuant de nombreux compatriotes d’une Russie en proie à la guerre civile.
Il se charge également de missions militaires. Il part pour le Maroc où il commande une compagnie. L’écrivain André Maurois dit qu’il est l’un des chefs « qui savent relever +Les Humiliés et les Offensés+ » et que ces derniers commencent à comprendre « la grandeur de l’œuvre à laquelle ils sont associés. La Légion étrangère a hérité de la mission de la Légion romaine ».Ces hommes « servent ici la civilisation ». « Et quand le commandant Pechkoff lui-même, les yeux brillants de foi, parle de ses hommes avec cette simplicité humaine et directe que le lecteur aimera dans son livre, ses amis pensent : un apôtre », indique André Maurois.
Malgré la position antibolchevique de Zinovi, les structures de sécurité françaises le surveillent d’un œil vigilant. En effet, son frère est un homme politique éminent et son père adoptif et un écrivain adulé par le pouvoir soviétique. Ce qui éveille bien des soupçons. Sans raison, affirment aujourd’hui les historiens.
« Pechkoff ne travaillait pas pour le 7ème département (du renseignement extérieur) du ministère de l’Intérieur. Moscou possédait d’autres sources d’information en France. Toutefois, il est facile de comprendre les doutes de Paris. D’autant plus que la presse de l’époque publiait tous les jours des articles sur des gangsters bolcheviks dans la capitale française. Même les simples émigrés étaient suspects, sans parler de personnages comme Zinovi Pechkoff. Mais à ce que je sache, la Sûreté n’a trouvé aucun fait qui aurait prouvé ses éventuelles relations avec Moscou », souligne Armen Gasparian.
En 1940, Zinovi ne reconnaît pas le pouvoir des occupants nazis et refuse de continuer à servir sous le commandement des Allemands. Il est arrêté et le tribunal militaire le condamne à être exécuté. C’est son talent de diplomate et son expérience militaire qui lui sauvent la vie : il persuade son gardien d’échanger la montre en or de Maxime Gorki contre une grenade, réussit à prendre en otage le commandant et à s’emparer d’un avion pour rejoindre Charles de Gaulle.
Son vieil ami connaît tous les talents de Zinovi et lui confie des missions très sérieuses. En Afrique du Sud, Pechkoff réussit à convaincre les autorités locales de se ranger du côté des Alliés. Il se place ensuite à la tête de la mission française en Chine puis au Japon. Il reçoit enfin le rang d’ambassadeur de France.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Zinovi reçoit de nombreuses décorations et distinctions, dont la grand-croix de la Légion d'honneur, et devient général de bridage de l’armée française. En 1950, il prend sa retraite et vit à Paris, rue Lauriston.
Il est décédé à l’âge de 82 ans à Paris et repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois. Des militaires et politiques éminents sont venus lui faire leurs adieux. Selon son testament, sa tombe ne porte que l’inscription suivante : « Zinovi Pechkoff Légionnaire ».
| Ref : 531 | Date : 02-04-2017 | 23286