Du bon usage du rapport

Le "rapport", cette pratique ancienne du style de commandement de la Légion étrangère.

Le rapport est une très ancienne institution légionnaire, une véritable tradition, qui a prouvé son utilité. Le chef d'état-major de l'armée de Terre dans une récente directive en a souligné le bien-fondé et la nécessité.Or je constate trop souvent que cet outil n'est pas employé dans l'esprit et dans la forme qui sont les siens.C'est pourquoi je souhaite rappeler les quelques principes fondamentaux qui doivent guider sa pratique.

Le rapport est un droit. Nos légionnaires ont beaucoup de devoirs liés d'une part à la discipline militaire, et d'autre part au choix volontaire qu'ils ont fait de servir un pays qui n'est pas le leur. Et ils disposent de peu de droits, notamment du fait de l'identité déclarée qui réduit, initialement au moins,leur liberté et leur état de citoyen. Il leur est reconnu en contrepartie un droit fondamental : celui d'avoir accès en permanence à leurs chefs pour venir exposer leurs demandes ou leurs préoccupations. Le rapport constitue une forme de recours auquel tout légionnaire a accès.

Il est du devoir de tous les échelons de la hiérarchie de répondre positivement à ces demandes de rapport,en toutes circonstances. Et les chefs, quel que soit leur niveau de responsabilité, doivent savoir se rendre disponibles pour recevoir les légionnaires qui le souhaitent. Ce qui ne signifie bien sûr pas que l'on donnera systématiquement une suite favorable aux requêtes qu'ils formulent, mais simplement que l'on ne refusera jamais d'en parler…

Le rapport est un outil de commandement. Il a pour but de marquer les événements qui " cadencent" la vie des légionnaires : promotions, affectations, stages, régularisation de situation militaire, naturalisation…bref, tous les actes à caractère administratif qui jalonnent une carrière. Il permet de sanctionner leur travail et leur comportement sous la forme de punitions et de récompenses. Il sert à leur notifier les décisions prises et, souvent, à les matérialiser : remises de galons ou de diplômes, par exemple.

Le cahier de rapport permet d'enregistrer ces décisions et d'assurer la traçabilité des entretiens. Mais plus fondamentalement, au-delà de cette simple fonction de "mémoire", les écrits du cahier de rapport lient formellement les deux parties, commandement et individu, et les engagent à respecter leur parole. Un acte du cahier de rapport est donc "opposable" pour chacun d'eux.

Le rapport fournit ainsi le cadre institutionnel dans lequel s'exercent des actes de commandement. Un certain nombre de "signes visibles" renforcent ce caractère formel : tenue de sortie, accès au bureau du chef. La vertu première de ce cérémonial est de rappeler que, comme tout acte de commandement,le rapport est un acte de vérité, de franchise et de courage.

Le rapport fait partie intégrante du style de commandement de la Légion étrangère.Car il est avant toute chose un outil de dialogue qui sert à mieux connaître et à mieux comprendre les hommes qui nous sont confiés, et avec lesquels nous irons un jour au combat. Il permet d'échanger périodiquement avec eux. Il permet de savoir leurs problèmes ou leurs difficultés, leurs aspirations, leur état d'esprit, leurs doutes, leurs envies... Il permet de les guider et de les orienter, de les conseiller ou de les mettre en garde.

Le rapport est un outil qui relève d'une logique "sociale" en ce sens qu'il contribue à entretenir le lien entre l'institution et les individus qui la composent. Il permet de désamorcer des crises, de discuter avant des décisions irrémédiables ou des actes de désespoir. Il permet de mettre en regard les intérêts individuels avec ceux de la communauté, et d'arbitrer, si nécessaire, entre ces deux types d'exigences, parfois contradictoires. Il permet aussi d'expliquer les choix et de motiver les décisions. Il est ainsi un outil à vocation pédagogique, une instance de concertation de niveau élémentaire et un vecteur de confiance.

Il fournit de ce point de vue un cadre d'une étonnante modernité, capable de répondre aux aspirations des jeunes hommes de la société contemporaine dont la mentalité à singulièrement évolué, parce qu'il s'inscrit dans une logique de considération et d'écoute. C'est pour cela que le rapport est plus que jamais une nécessité, et donc un devoir de chef.

Pour toutes ces raisons, je souhaite que cette belle institution légionnaire qu'est le rapport soit mieux utilisée et remise en vigueur là où sa pratique pourrait avoir été altérée. J'estime en effet que certaines difficultés disciplinaires ou des problèmes personnels que l'on soumet à mon appréciation pourraient être évités avec un dialogue amont plus constructif et conduit dans un réel esprit légionnaire.
 
Editorial du COM.LE du Képi blanc N° 715

| Ref : 47 | Date : 04-11-2009 | 27889