Légionnaire un jour, légionnaire toujours !

“Le jeune engagé est porté par les ombres de ceux qui l’ont précédé. C’est dans cette invisible compagnie qu’il puise la force d’avancer la nuit (...) Nous nous reconnaissons. Les mots sont inutiles. Leurs gestes brusques, trahissant une émotion souterraine, racontent mieux que les discours cette époque où ils étaient sans attaches, sans passé, mais non sans liens humains et sans fraternité.”

C’est également ce que disait, à sa manière, George Manue, grand reporter et écrivain suisse, engagé trois fois à la Légion étrangère (en 1921 au 3e Étranger, en septembre 1939 au 11e REI, en mai 1944 au RMLE), blessé en 1940, évadé, et cinq fois cité : “On ne cesse pas d’être légionnaire au moment où on quitte l’uniforme. On le reste jusqu’à la mort et c’est bien jusque là, jusqu’à la gauche, comme ils disent, que les légionnaires servent.”
Il est intéressant de constater que George Manue associe le verbe servir à la notion “d’état à vie” de légionnaire. Prenons cela aujourd’hui comme un défi à relever.

Comment expliquer “l’état à vie de légionnaire ?”
Dans le Livre d’or de la Légion étrangère de 1931, Élie Rambaud, ancien de la Coloniale, légionnaire de 1re classe d’honneur, qui oeuvra beaucoup pour les anciens légionnaires en aidant notamment à la création de la Maison du légionnaire à Auriol, écrivait : “Grâce à l’esprit légionnaire, fait de la fierté des plus grands services rendus, se continue, indéfectible, après la libération, cette fraternité scellée sur tant de champs de bataille, à l’heure des conquêtes, aussi
bien que dans les bleds lointains. La Légion prend les hommes corps et âme, et les marque de son empreinte ineffaçable."
Cette empreinte ineffaçable s’explique d’abord par l’amalgame des nationalités, en vigueur à la Légion depuis 1835, et qui est l’alpha de l’esprit de corps. La Légion n’a trouvé son identité qu’au fi l des ans : l’anonymat des hommes
sans nom consolida cet esprit de corps, en imposant à chacun, par la discrétion, le respect de l’autre via le respect de son passé. Et c’est bien au légionnaire anonyme que l’on doit tout, comme l’écrivait le général Gaultier : “C’est le légionnaire anonyme, le légionnaire de coeur pour l’éternité qui, entre les deux moments dramatiques de l’engagement et de la libération a tissé la trame de l’histoire de la Légion étrangère.” L’amalgame qui suscite l’émulation, et l’anonymat qui engendre le respect d’autrui, font naître la solidarité qui grandit au combat. Enfi n, la discipline, ferme mais juste, crée le cadre nécessaire au bien commun dans le respect de chacun. Toutes ces raisons qui rendent l’empreinte Légion ineffaçable pourraient se résumer dans la phrase du Prince Aage de Danemark : “la Légion ne change pas les hommes, elle les révèle à eux-mêmes.” Chaque légionnaire en est parfaitement conscient, et c’est donc pour cela qu’il reste, à vie, un légionnaire.

Quelles manifestations de l’état à vie du légionnaire ?
Il suffit de puiser dans la littérature légionnaire pour décrire ces liens indélébiles entre légionnaires de toutes générations. Dans “Toute une vie”, le chef de bataillon de Saint-Marc écrivait : “Le jeune engagé est porté par les ombres de ceux qui l’ont précédé. C’est dans cette invisible compagnie qu’il puise la force d’avancer la nuit (...) Nous nous reconnaissons. Les mots sont inutiles. Leurs gestes brusques, trahissant une émotion souterraine, racontent mieux que les discours cette époque où ils étaient sans attaches, sans passé, mais non sans liens humains et sans fraternité.”

Dans “Légionnaire”, Simon Murray conclut : “La Légion m’a réservé de durs moments et m’a pris les plus belles années de ma jeunesse. Mais quand je regarde en arrière, je n’éprouve aucun regret. C’était une expérience prodigieuse. Je n’ai jamais retrouvé un tel sens de la camaraderie, ni un tel sentiment de liberté (…) Si vous êtes de ceux qui hésitent à sauter le pas, je ne saurais trop vous conseiller de foncer et de gravir les sommets qui font rêver. Profi tez de votre jeunesse, et à 60 ans vous serez un homme heureux”.

Quels devoirs à vie du légionnaire ?
D’abord, la fidélité, car comme le disait le général Olié, “la fidélité est à la communauté ce que la mémoire est à l’individu : la conscience de sa personnalité.” Nous avons vu que la Légion révélait le légionnaire à lui-même en  l’admettant dans une famille unique. Le devoir du légionnaire, à vie, est donc d’honorer cette famille. Ensuite, vient “la solidarité étroite qui doit unir les membres d’une même famille”. Cette solidarité s’applique tant entre légionnaires de tous grades et de toutes anciennetés, que vis-à-vis de l’extérieur. Elle naît de la confi ance mutuelle acquise progressivement en activité. Il importe donc que le légionnaire, tout au long de sa vie, continue par son comportement à mériter cette confi ance. Pour cela, le dernier article du code d’honneur de l’ancien légionnaire est tout à fait pertinent  : “Dans ma cité, je suis fier que mes relations disent de moi avec considération : “c’est un ancien légionnaire”.

Enfin, vient l’unité, “la forme de toute beauté” comme écrivait Saint-Augustin au 4e siècle. Cette unité, facile à comprendre, est bien sûr plus diffi cile à mettre en oeuvre au sein d’une communauté humaine au caractère trempé.
Mais l’homme qui a rempli son contrat avec honneur et fidélité, reste toute sa vie, qu’il le veuille ou non, un légionnaire, tant l’empreinte est profonde et totale. Il doit donc rester uni à sa famille légionnaire. Cela nous permet de mieux comprendre ce qu’écrivait le chef de bataillon de Saint-Marc : “Aucun romancier ne pourra imaginer la démesure de ces messieurs déplumés, tassés par les ans, accompagnés de dames dignes. Chacun est un roman”. Je rajouterais : “c’est l’un des nôtres”. Ces trois principes ne sont rien s’ils ne se traduisent par l’essentiel, cité par G. Manue en début d’éditorial : c’est jusqu’à la mort que les légionnaires servent. Ce service, honnête et fidèle, est pour la communauté légionnaire un atout à faire vivre. Il est bien plus qu’une oeuvre de solidarité. Il permet à chacun de se poser la question, que l’on soit en activité ou non : “tu sais ce que la Légion a fait de toi ou ce qu’elle t’a apporté. Que fais-tu pour elle aujourd’hui ?”. La servir, c’est aussi l’aimer, et donc ne pas la décevoir et accepter ses imperfections.

Par le Général de division Jean Maurin commandant la Légion étrangère (Képi-blanc Magazine N°786)

| Ref : 439 | Date : 01-04-2016 | 33003